MICHEL CARDIN
INTERVIEW
a Tina Varouchaki
Le recital impressionant de luth et theorbe que Mr Michel Cardin a donne en tant qu’ invite honoraire par les Directeurs d’ Art Mme Alexandra Christodimou et Mr Yannis Petridis dans le cadre du festival de guitare de P. Faliro a été la raison pour l’ interview qui suit.Le soliste Mr Michel Cardin, professeur de guitare et du luth au Departement des Etudes Musicales de l’ Universite de Moncton (Canada) a une tres riche discographie a la musique baroque et surtout a l’ interpretation et l’ œuvre de Silvius Leopold Weiss. Dans le cadre du festival deroule ici, Michel Cardin a impresionne de sa virtuosite excellente ainsi que de son enseignement. Selon son interview il parait ebloui par les capacites d’ execution des eleves a tous les niveaux.La constatation suivante nous a beaucoup touche:«je dirais que la Grece est, avec la Republique Cheque et Hongrie, un des pays-phares de la guitare classique dans le monde. »
«Les témoignages les plus touchants sont peut-être ceux des gens qui de partout dans le monde m’envoient des emails ou lettres et me disent à quel point mes enregistrements de Weiss au luth les ont enthousiasmés. Cela se passe depuis la parution de mon 1er CD en 1993 et continue toujours. Cela semble prouver que j’avais raison de vouloir compléter une intégrale, et ce malgré le scepticisme de plusieurs collègues musiciens ou producteurs qui trouvaient que ce n’était pas une bonne idée.»
T.Β. Quelles sont les raisons qui vous ont pousse a vous occuper avec la Musique Ancienne, et plus specialement a etudier les instruments musicaux de cette époque ?
Michel Cardin: Je jouais à la guitare classique beaucoup de musique ancienne, surtout baroque, quand j’étais étudiant, et je me demandais quelles pouvaient être les implications techniques et esthétiques à l’instrument original, le luth baroque, car on ne semblait pas en connaître d’enregistrements et il n’y avait pratiquement jamais de concerts à cet instrument. C’était donc très énigmatique, très mystérieux, et tout en avançant à la guitare je me demandais si j’allais jamais un jour pouvoir jouer du luth baroque. Je ressentais cette énigme avec curiosité mais aussi avec appréhension.
T.Β. Avez-vous envisage des difficultes a vos premieres demarches ?
Michel Cardin: La première difficulté était psychologique : tous les guitaristes répétaient ce que Segovia avait déclaré au sujet du luth baroque : que c’était un instrument imparfait, inadéquat, et ainsi disparu par sa propre faute, et que seule la guitare pouvait en défendre le répertoire. En entendant dans les années 70 les enregistrements de Eugene Dombois, Toyohiko Satoh, Michael Schäffer et Konrad Junghänel, j’ai réalisé à quel point cette idée était erronée. Ensuite, la grande difficulté a été de décider quelle technique adopter au luth car certains jouaient avec la technique de la Renaissance, d’autres avec les ongles, et je ne savais pas si on pouvait garder une technique de guitare moderne ou non au luth, bref ce fut très chaotique pour établir une technique solide. La troisième difficulté a été de me convaincre que le luth baroque valait tous ces efforts et de découvrir que son répertoire était en fait immense, et finalement il a fallu trouver les sources, les analyser et étudier les principes d’ornementation, etc.
T.Β. A quel niveau de ses etudes en musique un eleve est prêt de se mettre a etudier un instrument de la Musique Ancienne?
A quell age il peut avoir la possibilite de faire son debut ?
Michel Cardin: On voit en Europe aujourd’hui, et notamment en France, des classes de luth remplies d’enfants – parfois même très jeunes – et dont certains développent au fil des années une technique solide et impressionnante sans avoir au préalable travaillé un instrument moderne. Donc je dirais sans hésitation que commencer le luth très jeune est, comme pour la guitare, le piano ou le violon, tout à fait normal. Un instrument de musique ancienne peut être à mon avis un instrument de départ autant que de carrière avancée.
T.Β. Les connaissances de la guitare classique consistent une presomption afin de s’ occuper a l’ etude des instruments musicaux de l’ epoque ancienne ?
Michel Cardin: La guitare classique peut en effet rapprocher un interprète de la guitare ancienne ou du luth puisque les principes techniques de cordes pinçées sur manche est le même. Cependant la similitude pourrait être plus un obstacle qu’une aide car les différences (articulation, contrôle de la tension des cordes, sauts du pouce, etc.) semblent au départ minimes et pourtant elles sont fort dissemblables ! Cela peut donc être un avantage mais aussi un désavantage, dépendant de vos facultés d’adaptation. Pour ma part, je crois maintenant après toutes ces années que ça aurait été plus facile pour moi de commencer le luth en n’ayant aucune connaissance de la guitare car je n’aurais pas mêlé les deux techniques ! Cela est renforcé par le fait que la pédagogie du luth est encore jeune et l’enseignement pas encore organisé systématiquement, ce qui fait que bien des questions d’un apprenti luthiste restent encore sans réponses claires et étudiées.
T.Β. Votre tres riche discographie qui a recu de fameuses critiques concerne l’ oeuvre de Silvius Leopold Weiss. Pour quelles raisons choisissez-vous l’ oeuvre de ce concret compositeur ?
Michel Cardin: Quand j’ai vu que Weiss avait été à la fois si prolifique et si respecté à son époque quant à la qualité de ses œuvres, j’ai décidé qu’il fallait aider à faire découvrir au monde au moins une partie de son corpus grandiose. Il ne faut pas oublier qu’il était l’ami de Bach, Haendel, Telemann et placé parmi les plus grands. Le choix d’enregistrer un grand volume de musique me donnait la motivation d’explorer en profondeur et de révéler un monde doublement fascinant : le luth baroque et son répertoire.
T.Β. Parmi les differents sujets que vous enseignez est l’ interpretation des oeuvres de la Musique Baroque. Il y a des solistes qui interpretent des oeuvres de la Musique Ancienne en utilisant la guitare classique et pas les instruments musicaux de l’époque. Etes-vous d’ accord avec cette pratique ?
Michel Cardin: Oui, je suis d’accord. La meilleure façon de motiver des jeunes, qui ne connaissent pas du tout le luth, à en jouer un jour, est de faire connaître son répertoire à la guitare, car alors soit que le guitariste va augmenter la curiosité envers le luth et amener de nouveaux luthistes, soit qu’il va développer un respect envers le luth qui finira par amener une demande de nouveaux luthistes de la part des auditeurs.
T.Β.Vous avez donne des recitals qui ont eu lieu a des salles de musique celebres a tout le monde. D’ après votre experience est-ce qu’ il y a des differences de qualite au public d’ un recital d’ un pays a l’ autre ? c’ est-a-dire : un public plus au courant, plus attentif ou attaché a la musique, plus cultive …
Michel Cardin: Partout j’ai vu des auditoires attentifs et enthousiastes, mais il est vrai qu’en Allemagne on dirait que l’estime de la musique est telle qu’on sent que notre public est gagné d’avance à tout coup ! On sent aussi chez les publics maghrébins une proche complicité avec le luth qui est leur instrument national depuis longtemps (oud). Mais que ce soit en Amérique du Nord ou du sud, en Europe, en Afrique ou au Japon, j’ai toujours rencontré des auditoires avides de découverte et d’authenticité.
T.Β. Dans le cadre de votre carriere internationale vous avez gagne plusieurs prix ainsi que des critiques exceptionnelles. Avez-vous la gentillesse de nous raconter un evenement qui vous a touché en particulier ?
Michel Cardin: Je suis toujours très touché par les appréciations des chroniqueurs, des passionnés de musique et des auditeurs en général. Les témoignages les plus touchants sont peut-être ceux des gens qui de partout dans le monde m’envoient des emails ou lettres et me disent à quel point mes enregistrements de Weiss au luth les ont enthousiasmés. Cela se passe depuis la parution de mon 1er CD en 1993 et continue toujours. Cela semble prouver que j’avais raison de vouloir compléter une intégrale, et ce malgré le scepticisme de plusieurs collègues musiciens ou producteurs qui trouvaient que ce n’était pas une bonne idée. Plus que les reconnaissances officielles, ces témoignages réguliers me font particulièrement chaud au cœur.
T.Β.Vous avez recemment visite la Grece, en tant qu’ invite au Festival de Guitare Classique de Paleo Faliro. Quel est le niveau des eleves qui ont participe au concours ?
Michel Cardin: Compte tenu de la quantité, de la qualité des guitaristes, des catégories d’âges, des nombreux solistes et des ensembles, je suis ébloui par les capacités d’exécution à tous les niveaux, chez les jeunes, les jeunes avancés et les plus avancés. Je dirais que la Grèce est avec la République Chèque et la Hongrie un des pays-phares de la guitare classique dans le monde.
T.Β. Vous avez enseigne un grand nombre d’ eleves provenant de differentes nationalites. Quels sont les caracteristiques d’ un eleve qui peuvent vous convaincre qu’ il dispose des possibilites exceptionnelles ?
Michel Cardin: Lorsqu’on n’a pas encore vingt ans, ou à peine cet âge, et qu’on maîtrise l’instrument avec des œuvres de grande envergure, on peut dire que la carrière s’annonce brillante. Ici en Grèce les jeunes ont la possibilité de progresser avec les plus grandes ambitions et j’ai pu voir dans ce festival une telle réalité : des enfants capables de prometteuses exécutions, et puis des adolescents impressionnants par leur virtuosité et enfin des «grands» pourtant encore jeunes et qui sont d’époustouflants concertistes ! Sachant par ailleurs que l’atout premier demeure la motivation personnelle, j’ai pu voir en bonus que la motivation à atteindre l’excellence est énorme et c’est cela qui nous promet de nouveaux virtuoses internationaux dans un avenir proche.
T.Β. Etant donne que le milieu contemporain est globalise, qu’ est-ce que vous auriez pu conseiller a un jeune soliste diplome de la guitare qui aurait le desir d’ etre accepte a une Academie de Musique, afin de se rendre concurrent ?
Michel Cardin: Après avoir acquis un bon niveau de base dans sa région d’origine, il est naturel pour un jeune musicien d’aller parfaire son art dans un grand centre reconnu. On pense aux grandes capitales ou aux écoles de musique prestigieuses, qui aident à la motivation et à l’émulation ainsi qu’aux possibilités d’engagements professionnels. Après le Conservatoire de Montréal je suis allé étudier la guitare à Paris avec Alberto Ponce et plus tard j’y suis retourné pour travailler le continuo baroque avec William Christie. Mais plusieurs autres villes et écoles de haut niveau sont attirantes et on choisit souvent en fonction de nos affinités avec le milieu culturel ou encore l’école de pensée d’un grand professeur, etc. Il y a beaucoup de choix et je pense qu’il y a aujourd’hui plusieurs options intéressantes qui s’offrent aux jeunes voulant faire carrière.
T.Β. Est-ce que je n’ ai pas donne l’ occasion a vous de vous placer sur un sujet que vous considerez important ?
Michel Cardin: On pourrait aborder encore bien des aspects du luth et de la guitare mais nous avons je pense touché aux plus importants. Merci beaucoup pour cet entretien!
Tina Varouchaki
varouchaki.tar@gmail.com
Avril 2016